mercredi 28 octobre 2015

Critique de Sicario


"Suelta la pistola!"


En espagnol, Sicario signifie « tueur à gages »… c’est sur ces quelques mots que nous sommes directement plongés au cœur d’une âpre introduction qui donne le ton, l’une de celles que vous n’oublierez pas de sitôt, tellement violente et viscérale qu’elle donne la nausée à notre personnage principal, l’agent du FBI Kate Macer (Emily Blunt).

Celle-ci désire plus que tout la décapitation des cartels mexicains et sa motivation sans faille va la pousser à se faire enrôler par une force d’interventions spéciales agissant aux frontières mexico-américaines pour contrer les trafics de drogues qui nécrosent les favelas du pays.

Au-delà de l’atmosphère étouffante de Sicario, c’est sa sublime photographie qui frappe fort d’emblée. Une fois de plus, le travail du grand Roger Deakins (directeur photo sur Les Evadés, No Country for Old Men, Skyfall, Prisoners,…) impressionne de naturel et de réalisme. Seul un choix de réalisation laisse finalement perplexe, celui de filmer une poignée de scènes en caméra nocturne, alors que la vision thermique utilisée en alternance est beaucoup plus cinégénique.


vision nocturne...
...vision thermique.

Mais comment en tenir rigueur au cinéaste canadien Denis Villeneuve qui parvient depuis quelques films (Incendies et Prisoners en tête) à réunir tant de talents à l’écran, à faire en sorte que l’alchimie prenne et même à faire renaître des acteurs dont on avait presque oublié la grandeur ?On pourrait palabrer des heures sur la prestation d’Emily Blunt, cette actrice montante qui n’en finit plus de séduire le public dans tous types de rôles et qui, cette fois encore, est parfaitement crédible et suscite l’empathie dès les premières lignes de dialogues…mais c’est surtout l’animal Benicio del Toro qui marquera cette fois les esprits, lui qui incarne ici le sicario du titre et qu’on avait sans doute plus vu aussi bon depuis 21 Grammes

del Toro signe une performance magistrale, tout en retenue avec ce visage dont les traits semblent nous raconter une vie de souffrance, son magnétisme est fascinant et le mystère entourant les réels desseins de son personnage suffit presque à nous tenir en haleine 2h durant.

Car, nous y venons, Sicario ne jouit pas d’un scénario follement original ni de scènes d’action qui réinventent le genre, mais Denis Villeneuve réussit à nous saisir à la gorge par le biais d’une mise en scène d’une efficacité brutale, où chaque minuscule note d’espoir et rapidement détruite pour ne jamais nous laisser une once d’oxygène
Et c'est en ceci que réside précisément la force du long métrage, dans sa façon d’enterrer la bravoure sous la dure réalité pour parfaire un thriller de haut vol sans aucun compromis.
On ne ressort pas avec le sourire de Sicario, ni avec les larmes aux yeux d’ailleurs, mais plutôt avec la sensation d’avoir assisté à ce qu’on nous cache dans ce monde de loups, où les lois sont très flexibles quand il s’agit du prétendu « bien de l’humanité ».

Certains spectateurs sortiront de la salle frustrés par l’impuissance ressentie face à l’absence d’héroïsme émanant du film, mais c’est là que celui-ci se démarque le plus des productions hollywoodiennes actuelles, car il n’y a ni héros ni méchant dans Sicario, il n’y a qu’un monde profondément malade et c’est via le regard désabusé et désarmé d’Emily Blunt que nous en vivons la rude expérience.

Il va donc sans dire que Sicario est une œuvre solide et implacable, bien qu’elle ne deviendra pourtant pas un classique à cause de son léger manque d’originalité sur le fond et surtout la forme; Denis Villeneuve est pour le moment ce qu’on appelle un réalisateur très propre, voire « carré » et il lui manque justement ce petit brin de « folie », une singularité qui lui ferait franchir le cap des plus grands cinéastes de sa génération
En outre, la musique du film assure ce qu’il faut de tension mais devient vite répétitive et peu inspirée.

Par ailleurs, une suite centrée sur le saisissant personnage de Benicio del Toro est en préparation et nous ne pouvons que nous en réjouir, si tant est que le mystère entourant cet impitoyable loup ne soit pas réduit à néant comme dans la majorité des suites/préquelles du moment....espera ya verás!

Note : 8/10


Conseillé...
Déconseillé...

     - Aux amateurs de thrillers purs et durs.

     - A ceux qui sont en manque de réalisme au Cinéma.


- A ceux qui ont besoin de s'identifier à une véritable figure héroïque.
- A ceux qui attendent un film d'action pétaradant dans tous les sens.
  




jeudi 22 octobre 2015

Critique de Seul Sur Mars



"Dans l'espace, personne ne vous entend ch***...crier"


Ridley Scott, tu ne m’auras plus.

Il faut dire qu’après un soporifique Cartel et un très moyen Exodus, on pouvait se douter que le dernier des frères Scott était en train de sombrer.
Il est d’ailleurs difficile de comprendre pourquoi le bonhomme de 77 ans enchaîne sur le rythme effréné d’un film par an depuis 2012 alors qu’en vieillissant on est plutôt censé ralentir la cadence dans le but de proposer un boulot toujours inspiré et inspirant. Succomberait-il aux affres de la sénilité ? Le résultat à l’écran le laisse penser.

Pourtant, c’est avec une tonne de critiques positives en tête qu’on se décide tout de même à assister au nouveau "grand film" de Ridley.
Vous lirez donc à plusieurs adresses que Seul sur Mars est un chef-d’œuvre, qu’il est le meilleur film spatial de la décennie et que le film plaît même à la NASA...toutefois, vous ne lirez nulle part à quels montants s’élèvent les pots-de-vin attribués aux critiques ciné pour écrire des âneries pareilles, ça non.

Objectivement, la première partie de l’œuvre a tout pour séduire, l’imagerie est très léchée et les cadrages sont aussi anxiogènes que flatteurs pour nos rétines. La mise en place est rapide et les (maigres) enjeux vite posés : Il faut (encore) sauver le soldat Ryan…pardon, Matt Damon. Celui-ci étant laissé pour mort sur la planète rouge par un équipage déjà sur le retour depuis quelques temps. « Impossible » de faire demi-tour et la prochaine mission part de la planète bleue dans 5 ans. Bref, nous allons assister à la survie du valeureux Matt, alias Mark Watney, jusqu’à l’arrivée providentielle des secours.

Ce qui frappe en premier lieu, c’est le ton léger de Seul sur Mars ; il y a décidément beaucoup d’humour dans ce long-métrage, ce qui apporte de prime abord une certaine fraîcheur à l’ensemble. 
Mark Watney est blagueur et vanne à tour de bras en consignant ses faits et gestes en format vidéo dans son journal de bord. L’aspect ludique de ses péripéties prend vie devant nos yeux ravis et la survie de l’astronaute nous captive jusqu’à ce que les premières incohérences pointent le bout de leur nez. Le spectateur averti glisse doucement de son état amusé à celui de la perplexité quand les réserves d’oxygène de Mark Watney deviennent soudainement illimitées, lui permettant même d’en consommer à foison dans le but, notamment, d’établir un champ de patates autour duquel il ne faut une nouvelle fois pas trop se poser de questions (reste à espérer que tout est mieux expliqué dans le bouquin d'Andy Weir ici adapté…).

Mais le film devient franchement embarrassant quand on finit par se rendre compte qu’il ne s’y passe vraiment pas grand chose et que les ficelles hollywoodiennes deviennent tellement grosses qu’elles masquent totalement l’aspect dramatique du film. Une fois la partie « survival » évacuée - Mark Watney n’a pas l’air de trop mal se débrouiller et ne souffre aucunement de la solitude à l’écran, donc pourquoi s’en soucier ? - tout devient bancal, de la raison de débourser des millions de dollar pour sauver un botaniste au fait que les communications Terre-Mars marchent encore mieux que quand tu chattes avec ta Maman depuis les States alors que la planète rouge se trouve à des centaines de millions de kilomètres d’ici, en passant par une alliance improbable entre Chinois et Américains pour sceller le sort de l’astronaute abandonné.
Ainsi, au bout de son premier acte, le film ne sait clairement plus où donner de la tête, tel un ado en pleine crise identitaire, Seul sur Mars ne parvient plus à choisir s’il doit être sérieux, humoristique ou palpitant et fait dès lors trop de concessions pour plaire à tous et surtout aux Américains, caressés dans le sens du poil jusqu’à l’irritation.

Le tout est bien sûr agrémenté d’un ramassis de clichés tels qu’on en avait plus vu depuis Armageddon (un bon plaisir coupable qui ne pétait pas plus haut que son fondement, lui) ; on pense notamment à la chargée de communication qui prend les mauvaises décisions pour notre héros du moment que l’image publique soit sauve, l’étudiant en astrophysique bordélique qui va trouver LA solution ultime pour la NASA, sans oublier un directeur général tiraillé du début à la fin, gentil mais inutile et enfin un équipage composé de membres qui culpabilisent tellement qu’ils seraient prêts à défier toute autorité et à sacrifier leurs vies (parfaites, évidemment) pour ramener Watney.
Cerise sur le gâteau, on n’en peut décidément plus des scènes d’applaudissements à répétition dans la salle de contrôle du centre spatial, quand elles ne s’étendent pas au monde entier.

Oui, la dernière œuvre de Ridley Scott est lisse comme une peau de marmot, même le personnage principal semble dépourvu de failles ; doté d’un courage sans limite et n’ayant visiblement peur de rien, comment mesurer l’ampleur d’un personnage s’il ne possède pas la moindre faiblesse? N’est-ce point là la base de tout drame relativement bien construit ? Le casting, lui, fait ce qu’il peut pour insuffler de l’émotion à l’ensemble mais l’étincelle ne prend jamais sur les terres arides de Mars.

A l'humble avis de votre serviteur, Seul sur Mars se trouve à des années-lumière des superlatifs lus dans la presse à son sujet. Le cinéaste britannique nous propose des films de plus en plus brouillons et son dernier opus ne fait que confirmer cette tendance ô combien décevante de la part de l’un des plus grands réalisateurs de sa génération. Passer après Interstellar (et/ou Gravity pour ceux qui l'apprécient) n’était décidément pas une sinécure et ce coup dans l’eau martienne ne fait que l’illustrer.

Note : 4/10


Conseillé...
Déconseillé...

     - A ceux qui ont juste envie de poser leur cerveau à l'entrée de la salle pour voir un mec survivre en bousillant la science.

     - A ceux qui aiment les clichés américains vieux de 20 ans.


- A ceux qui ont déjà vu un bon   film spatial, tout simplement.